Photographier pour le climat

Il y a quelque chose qui m’agace beaucoup, et plus encore lorsque les temps sont à la canicule et au dérèglement climatique, c’est le gâchis énergétique.
Je ne vais pas vous faire un rappel de l’urgence climatique, que d’autres font bien mieux que moi, de la crise énergétique et de la guerre en Ukraine, j’imagine que vous êtes au courant.

Mes torts

Avant toute chose, je dois vous avouer parfois me retrouver face à des contradictions, comme bon nombre d’entre nous : qui n’a pas eu un sentiment honteux en réservant un vol pas cher pour quelques jours ailleurs ? Cela créant une sorte de grand-écart moral entre le plaisir du séjour et la connaissance d’une forme de privilège à polluer aux dépends des autres.
Oui j’ai pris l’avion, oui j’ai craqué sur un appareil photo alors que le miens fonctionnait encore, oui j’ai pris la voiture plutôt que le métro par confort, oui, j’ai eu des actes individuels dispensables et polluants.


Dois-je pour autant me taire ? Je ne crois pas.

Je dois en premier lieu éviter un maximum de ces contradictions et me corriger. Depuis un an, je mettais en avant la promotion de livres vendus par Amazon, c’était donnant-donnant : je percevais une commission et les amateurs de livres photo payaient moins cher. La théorie était que cela devait payer le fonctionnement du site, la réalité c’est que cela m’a rapporté de quoi le faire fonctionner plus de 15 ans. Je vais donc supprimer la page de livres en promotion d’ici quelques semaines, le temps que les amateurs de livres puissent faire une dernière commande, et de donner ma méthode et ma liste de veille. Chacun reste libre de commander sur Amazon, mais je ne veux plus encourager à le faire; encore moins que mon site soit indirectement payé par Amazon.

Se refuser d’agir et de dénoncer les comportements qui nuisent à l’environnement, parce que l’on a soi-même des défauts, c’est de la facilité. Autant je comprends que faire la morale à quelqu’un qui prend l’avion pour la première fois, quand on l’a pris 30 fois, c’est culotté, et c’est pour ça que je ne veux pas dénoncer les comportements individuels mais plutôt les dérives d’entreprises.

Le gaspillage

Il y a deux formes de gaspillage énergétique qui peuvent être immédiatement résolus : celui lié à l’éclairage nocturne et celui lié au contrôle des températures dans les bâtiments.

L’éclairage nocturne

Concernant l’éclairage nocturne, publicités et vitrines, des textes de loi précisent ces conditions mais ne sont que rarement suivis d’effet ou de sanctions. Le gaspillage est relativement simple : allumer une concession automobile ou la vitrine d’un opticien toute la nuit dans un secteur où personne ne passe est idiot.

D’ailleurs, les photographes astronomes détestent la pollution lumineuse résultant des éclairages nocturnes, tant les lampadaires que les publicités créent un voile qui empêche de voir correctement les objets stellaires.

Ciel pollué d’une grande ville, ciel pur. Paint, 2022.

Le site référence est celui de l’Agence Nationale pour la Protection du Ciel et de l’Environnement Nocturnes (ANPCEN), allez donc le visiter vous y apprendrez tout un tas de choses intéressantes.

Les températures

Concernant le contrôle des températures, c’est bien pire : combien de commerces climatisent en période de canicule, tout en laissant les portes ouvertes ? Et c’est pareil en hiver lorsque les magasins sont chauffés.

La Convention Citoyenne pour le Climat, dans sa partie « Consommation d’Energie » proposait l’obligation pour les bâtiments ouverts au public de fermer leurs portes.

Le gaspillage énergétique de ces ouvertures de porte a été démontré dans cette étude et le leader même de la vente d’appareils de climatisation le dit : ouvrir les portes rend très difficile le maintien à la température voulue, vos appareils devant fonctionner à plein régime ils demanderont plus d’énergie ».

Un expert de l’agence parisienne pour le climat le disait clairement dans cet article du Huffington Post sur le sujet : “C’est d’ailleurs la première loi de thermodynamique. L’énergie thermique se déplace uniquement d’un point chaud vers un point froid. Donc, si je rafraîchis une ambiance intérieure, mais que dehors il fait plus chaud, forcément la tendance va être à équilibrer la zone froide”.

Et ne croyez pas qu’ouvrir les portes va refroidir l’extérieur : une étude du CNRS et de Météo France datant de 2010 concluait à une augmentation de la température de 0.25°C à 1°C à Paris à cause des climatiseurs. C’est pour cela que cette pratique a été interdite à New-York, en Corée-du-Sud ou encore ces derniers jours à Bourg-en-Bresse.

Et la photo ?

Voilà donc le sujet de l’article, voyons ce que vient donc faire la photographie là-dedans.

Quand j’ai remarqué tous ces magasins qui ouvrent leurs portes en chauffant ou en climatisant, j’ai commencé à photographier les devantures et à interpeller les marques sur Twitter et Instagram en les mentionnant, ainsi que des acteurs politiques ou associatifs. Une fois, deux fois, dix fois : c’est quasiment toujours resté lettre morte. J’ai écrit à des mairies et des services-clientèle sans jamais recevoir de réponse concrète, mis à part la marque Lush qui m’a assuré rappeler régulièrement à ses boutiques de maintenir l’air frais à l’intérieur en fermant les portes. D’ailleurs vous remarquerez que souvent ce sont des portes automatiques qui sont ouvertes, alors que le but même de leur existence est de s’ouvrir et se fermer automatiquement pour éviter la déperdition calorique.

Et finalement, sans m’en rendre compte je me suis lancé dans une forme de photographie sérielle engagée, un peu malgré moi car je préférerais ne rien voir de tout ça.


La photo comme moyen d’action

Voyant ces portes ouvertes, je pourrais aller voir le vendeur et lui demander s’il peut fermer les portes, ce qui laisse deux réponses possibles : oui ou non. S’il le fait, ça a un impact local, s’il ne le fait pas il ne le fera probablement jamais si je lui demande de nouveau.

L’idée est donc de montrer que ce comportement énergivore est le même dans toutes les rues commerçantes de toutes les grandes villes de France, le but n’étant pas de faire fermer une porte, mais toutes les portes de tous les magasins. Et cela peut aussi se faire avec les enseignes lumineuses; le but n’étant jamais de désigner un seul franchisé mais l’ensemble du groupe.

Photographier collectivement

Afin d’avoir plus d’audience, de pouvoir aller plus loin, j’ai proposé l’idée de faire cela collectivement sur deux discords de photographie, sur Instagram et sur Twitter, et j’ai été étonné par l’engouement. Dès le lendemain j’ai reçu pas mal de photographies et de soutiens, ce qui m’a motivé à poursuivre en créant un compte Twitter et un compte Instagram dédiés aux publications, afin de dé personnifier la chose :

  • N’importe qui peut y participer, anonymement ou non, peu importe le lieu, tant qu’il prend un magasin vitre ouverte pendant une canicule, des panneaux lumineux en pleine nuit ou toute autre dépense énergétique inutile. Un smartphone suffit pour s’inscrire dans la démarche.
  • Ca ne demande pas beaucoup d’efforts, juste vérifier que la clim tourne, et faire une photo pendant une promenade seul ou en famille; ou juste partager si l’on ne peut ou ne veut pas prendre de photo.

C’est un projet qui n’est pas réellement un « projet photo » et qui j’espère peut vite se terminer, lorsque tout le monde aura conscience que des gestes assez simples même s’ils ne font pas de miracles peuvent limiter un peu la casse.

Superbe greenwashing chez Etam au Mans. © Matthieu R.

Plus nous serons nombreuses et nombreux plus il y aura une possibilité de changement. La photographie n’est pas réservée uniquement aux livres ou aux galeries et peut très bien avoir une autre fonction, mi vernaculaire mi archivistiques, engagée pour une cause commune à travers les territoires.

7 commentaires

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Avec ma fille on te suit. Elle m’a déjà indiqué une boutique en ville qui l’a désespère avec les portes ouvertes en pleine canicule. Je te partage très vite une photo !
Perso je suis aussi consterné avec les vitrines allumées la nuit et je me demande depuis quelques mois comment militer. Peut être monter un dossier à remonter à la mairie avec les photos des vitrines by night… merci en tout cas pour cette initiative!

Salut Richie, je comprends ta colère et l’enjeu de ta démarche, je te rejoins à 100% pour photographier de manière engagée, je suis également engagée depuis deux ans sur un projet photos et je le boucle à la fin de l’été si tout se passe comme plus ou moins prévu. Là où je ne te rejoins plus du tout c’est sur le fait de poster sur deux réseaux sociaux oubliant que le stockage des images dans les data center est énergivore et participe à la hausse des températures, hé oui, il faut refroidir ces hangars qui bien sur ne sont pas isolés, qu’une réserve très conséquente de fuel se situe à côté en cas de panne électrique parce que bien sur on ne peut priver les internautes de leur insta. Bref une catastrophe écologique. Donc oui pour ton projet mais trouver un moyen de récupérer les photos et les diffuser autrement, chercher des solutions pour aller dans le bon sens. https://www.lebigdata.fr/data-center-impact-environnement-negatif
Allé! sur ce j’arrête ma consommation d’internet pour aujourd’hui!
Bonne soirée
martine

Bonjour Martine !
Je suis au fait des consommations énormes des data centers, et bien évidemment c’est un autre problème : cela dit il faut raison garder : le stockage c’est environ 0.06 kWh/Go, la climatisation d’une surface de 50m2 c’est entre 3.5 et 5 kWh, donc si poster 100 images de 300 kilo octets permet de fermer les portes d’un seul magasin, c’est largement rentable !
Qui plus est, il faut bien un moyen de diffusion, et je n’en ai de meilleur.

R

Bravo et encore bravo !
Les portes ouvertes sont une technique marketing pour attirer les consommateurs chez soi et pas chez le concurrent (ahhhh la con-cul-rance).
Eté comme hiver.
Une marque américaine de fringue, en plus d’avoir les portes ouvertes diffusait son parfum pour attirer le chaland.
Ils savent très bien pourquoi ils laissent ouvertes leurs portes.

Ca commence d’ailleurs à ruer dans les brancards avec cette histoire de portes ouvertes / clim à fond.

Un photographe amateur de livre photo et qui réduit -très- fortement ses contradictions depuis 10 ans.

Salut Richie, oui tu as raison, le ratio reste rentable, ma réaction a été rapide et ce parce que j’habite dans le Gard que ça fait 3 mois que nous n’avons pas eu d’eau, que je n’en peux plus de voir tout le vivant souffrir mais que l’humain continue d’agir comme si nos ressources étaient illimitées et que cette canicule n’est qu’un épiphénomène. J’ai mentionné les datas centers parce qu’il faut marteler également ce problème, passer la journée à envoyer des images de son petit déjeuner, de sa pose de nouveaux ongles et de la dernière de son chat, ce n’est plus possible. Bonne semaine et bonne continuation pour ton projet, j’espère que vous allez tous ensemble réussir, agir, agir agir il le faut!!!!

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