LomoChrome Purple : une pellicule très très très créative

Cela fait longtemps que je n’avais rien écrit, non pas que je n’ai rien à dire, mais je fais pas mal de photos, soyez donc heureuses et heureux de ne pas crouler sous mes mails de newsletter.


Je privilégie la pratique au blogging, c’est un choix assez simple, de même que je privilégie l’étude culturelle de la photographie à la lecture de revues matérielles avec des mires et des notes de piqué, ou la bière à la danse.

Curieux, penserez-vous à raison, que j’écrive un billet sur une pellicule. Je ne suis a priori pas testeur de matériel, et pourtant l’usage d’une pellicule Lomography Lomochrome Purple m’a poussé à vous écrire ce que vous allez lire et à prendre les photos qui suivront.

Les pellicules

Si vous me connaissez, ou que vous avez déjà vu mes photographies, vous savez que je pratique un peu l’argentique; je ne vais pas vous dire que c’est mieux ou moins bien que le numérique, ou même que c’est différent – car je pense vous le savez, non ?

Pour celles et ceux qui ignoreraient la différence : la photographie numérique se pratique avec un appareil numérique, tandis que la photographie argentique se pratique avec un appareil argentique. Vous voilà prêts pour la suite.

En numérique, on n’a pas pour habitude de changer régulièrement le capteur de l’appareil, alors qu’en argentique on peut changer la pellicule. J’utilise généralement deux pellicules assez connues, la Kodak Portra 400 en couleur et la Ilford HP5+ en noir et blanc. C’est une simple question de goût, il existe d’autres marques comme Fujifilm, Foma, Washi, Cinestill ou encore Lomography.
Toutes ces marques font des pellicules avec un rendu un peu différent à chaque fois, certaines pellicules sont vendues comme étant meilleures pour le portrait, d’autres pour le paysage, d’autres pour la photo astronomique et d’autres pour la créativité.

La LomoChrome Purple

En juin de cette année j’ai fêté mon anniversaire comme il se doit, avec du planteur et de la bière. J’avais même fait pour l’occasion de petites pizzas (pizze me diraient les italiens, mais j’écris volontairement « pizzas » tout comme je coupe les spaghettis pour les faire hurler) au gorgonzola et à la spianata calabraise.

Thomas, auteur du blog portant son prénom, est venu m’apporter quelques présents, et outre une veste-sans-manche-à-poches de la plus grande distinction, objet de reconnaissance par mes pairs dans la rue (c’est la première étape dans le monde de l’art) il m’a offert une pellicule dans une boîte violette et argentée. C’est alors que j’ai découvert l’existence de la LomoChrome Purple.

Le lendemain, retrouvant mes esprits, que vis-je au milieu d’un ensemble foutraque d’assiettes apéritives tristement vides ? Cette petite boîte « Lomography ». J’ai cherché à comprendre pourquoi cette pellicule existait, ce qu’elle pouvait apporter à la photographie, et pour ça rien de tel que de visiter le site internet de la marque.

Le site me propose des aventures créatives, et me garantira des résultats photographiques stupéfiants. Je comprends tout de suite que j’ai face à moi un putain de challenger à Kodak et Fuji, qui rendrait vieillottes ces marques de films aux noms où les ISO sonnent comme les numéros des vieilleries de Beethoven ou de Mahler.
Kodak Portra 400, Symphonie n°5 en ut dièse mineur, Fuji Pro 400H, c’est un catalogage radical de sobriété.
Alors que « Chrome », ça renvoie à la modernité, ça dégage « Internet Explorer 8 » dans les tréfonds de la préhistoire. Et « Chrome » ça appelle à la nostalgie, à la bonne nostalgie, à celle de la KodaChrome ou à la fabuleuse EktaChrome.

Je regarde quelques images d’exemple, toutes ont une teinte violette que mêmes trois balances des blancs n’arriveraient pas à redresser. Je vous avoue être un peu perplexe sur le moment.

LomoChrome Purple exemples
Recherche Bing « LomoChrome Purple »

Je mets donc cette pellicule dans mon fidèle Nikon F100, dont l’autofocus fait encore pâlir le plus moderne des Leica, avec son 35mm f/2 « full bokeh » et je sors capturer ma vision du monde, enfin de Lille, pour satisfaire cette aventure créative et obtenir des résultats photographiques stupéfiants.

Doute pas cartésien

Je me retrouve donc dans le monde, enfin à Lille, avec mon F100, et je cherche un sujet. Je cherche un sujet. Je cherche un sujet.

Je cherche un sujet.

Je cherche un sujet, je cherche un sujet.

Bon je me prends un peu trop la tête, la pellicule doit me proposer des aventures créatives, et me garantit des résultats photographiques stupéfiants, il faut que je me lance. L’aventure me mène dans la gare Lille Flandres. C’est dans les gares que s’entament ou se terminent beaucoup de romans, c’est un commencement parfait pour cette LomoChrome Purple.

gare Lille Flandres
La « Gare Lille Flandres »

Je déclenche, et même sans sujet je me dis que je pourrais toujours justifier plus tard vouloir prendre « l’atmosphère de la gare », « le clivage entre romantisme des gares ferroviaires et sobriété due à la crise sanitaire » ou tout autre billevesée qu’on peut voir dans les magazines. Je sors de la gare, mais quelque chose me travaille : je ne sais absolument pas à quoi ressemblera ma photo. Je sais le F100 régulier dans l’exposition et la mise au point, mais la pellicule, que va-t-elle faire ? A-t-elle conscience de ma volonté pour pouvoir me garantir, si assurément, des résultats photographiques stupéfiants ?


Penaud, je rentre chez moi, rongé par la question.

Créativité annihilée

Figurez-vous que je pose mon F100 pour quelques semaines. A chaque fois que je sors, même faire des courses, et que je choisis mon appareil, je prends le numérique (celui qui marche sans pellicule, pour celles et ceux qui suivent.)

Pourquoi ne pas prendre le F100-Lomochrome-Purple ? Plus les jours passent et plus les raisons sont nombreuses. Et si je faisais une photo en rapport avec l’un de mes projets, et qu’elle était bien, comment pourrais-je l’intégrer si elle est toute violette ?

Imaginez un seul instant que Andreas Gursky ne soit sorti qu’avec une LomoChrome Purple dans sa chambre (un gros appareil photo argentique, avec une grosse pellicule, il n’est point question d’oreiller ou de lit ici), et que son aventure créative le mène devant le Rhin. Aurait-il réussi à se payer l’équivalent de centaines de milliers de menus O’Tacos en vendant cette photo ?

original by Andreas Gursky
« Rhein II », original by Andreas Gursky

Il l’aurait vendue, au mieux, au fond d’investissement culturel et artistique de chez Gifi qui l’aurait décliné en coussins, en mugs et en boîtes, à la rigueur en taies d’oreillers mais pas plus.


Pire encore, imaginez un seul instant que, me promenant, je tombe nez à nez avec l’Actualité. Avec l’événement de l’année, juste sous mes yeux. Imaginez que je sois assez vif, que je cadre assez bien, et que je réussisse à déclencher au bon moment : j’aurais un cliché digne des World Press Awards. Mais j’aurais un cliché avec du violet partout.

Alors, le New-York Times, Der Spiegel, Le Monde et tant d’autres journaux prestigieux me l’achèteraient pour en faire la Une du siècle, me payant rubis sur l’ongle, et mon nom serait à jamais accolé d’un « the french purple photographer« . J’aurais beau leur revendiquer que j’étais dans une aventure photographique, et leur garantir que le résultat photographique est stupéfiant, ils riraient bien dans leurs salles de rédaction.

D’ailleurs je serais le premier à faire ça, j’ai fouillé les archives, et j’ai jamais vu une photo de presse faite avec une telle pellicule créative. Si Ronaldo Schemidt avait eu un LomoChrome Purple à son anniversaire et qu’il l’avait utilisée pour réaliser sa célèbre photo du conflit Vénézuelien, vous auriez vu quelque chose comme ça :

Venezuela, Ronaldo Schemidt pour l'AFP
Original by Ronaldo Schemidt, AFP

J’ai donc laissé pendant plus d’un mois mon F100 rouiller sur l’étagère, prendre la poussière, se rabougrir. J’espérais sans doute secrètement qu’il digère la pellicule, que le compteur revienne à zéro et qu’une amnésie partielle me fasse oublier son existence. Tel ne fût pas le cas.

Il m’a donc fallu attendre le moment propice, l’instant décisif : on ne shoot pas de la LomoChrome Purple n’importe quand et n’importe comment.

Saut dans le vide

Jamais je n’ai eu l’occasion de faire de la chute libre, mais c’était quasiment la même expérience. J’ai dû attendre l’Opportunité, et que les conditions soient optimales : être sûr de ne croiser aucun sujet intéressant, même un chaton, et aller là où l’actualité n’est pas au moment où rien ne se produit.

Et croyez moi c’est plus difficile qu’il n’y paraît, de chercher l’instant parfaitement plat, dans le lieu le plus opportun à ce que rien ne se passe. Finalement ce fût pendant un samedi où j’avais pas mal de choses à faire, à commencer par me rendre en Belgique pour acheter des bières chez Vanuxeem, brasserie de la Queue de Charrue et vendeur d’un nombre incalculable d’autres bières.

Roulant dans la campagne Franco-Belge (oui, c’est la frontière et difficile de savoir si on est d’un côté ou de l’autre) je remarque une route parfaitement banale, voici un paysage qui ne risque pas de rentrer dans les annales.

Paysage Franco-Belge

A la vue du résultat, c’est encore pire que prévu. Avec une pellicule normale, l’intérêt en image unique aurait été vite limité, mais ici une prouesse est réalisée : transformer une photo inintéressante en photo inintéressante et moche. Difficile de trouver meilleur faire-valoir pour Kodak, Ilford ou Fuji.

Les bières dans le coffre, je rentre chez moi en faisant attention aux dos-d’ânes qui peuvent les secouer. Malgré la LomoChrome qui m’agace sérieusement, je suis ravi d’avoir trouvé de la Drie Fonteinen, une Lambic des plus réputées et que j’aime particulièrement.

Oude Gueuze de Drie Fonteinen

Mais je n’ai toujours fait que deux ou trois photos, et il commence à urger de terminer cette bobine. Tant pis, j’abandonne mes précautions et je fais tapis : je sors à pied avec ce qu’il me reste de LomoChrome. Vaillant, téméraire, le torse bombé je marche dans les rues de Lille.
J’ai enfin compris le sens profond de l’Aventure Créative, qui est d’assumer le risque de ne faire que des photos de mauvais goût tout le long d’une pellicule.

Aventure créative

J’erre dans Lille, à la recherche du moins possible. Dans une petite rue, je prends en photo une plante verte posée sur un balcon. Devinant la LomoPurple, elle s’avance et me hurle « Si je suis pas verte sur ta photo, je saute !  »

plant who wants to die
Plante « verte » suicidaire

J’espère qu’elle n’est pas dans mes abonnés, parce que comme vous le voyez, elle est bel et bien violette. Pauvre plante. Quelques mètres plus loin, un signe divin : le panneau de la rue m’apprend que je suis dans celle baptisée en l’honneur de tous les photographes de plus de 50 ans : la rue Manuel.

Rue Manuel. Pour les VRAIS photographes

Je shoot donc en manuel rue Manuel à l’argentique, je suis un vrai photographe qui fait des photos super moches. Il est temps pour moi de me rapprocher du centre pour m’adonner au paysage urbain ou prendre des passantes et passants. Me voici place de la République – je précise aussi pour les Lilloises et Lillois tant il est dur de reconnaître les lieux une fois LomoChromisés.

Place de la République, Lille. (en vrai c’est mieux)

Je continue mon aventure créative, et arrivant sur la Grand’ Place, je vois des photographes qui prennent des photos en visant en l’air. C’est en voyant mes propres images que j’ai compris ce qui pouvait les faire si frénétiquement déclencher : ils devaient jamais n’avoir vu d’arbres de cette couleur.

Deux photographes prenant des arbres violets

Je photographie d’autres personnes qui passent ici et là, et aussi une grue. Vous avez remarqué que les photographes prennent souvent les grues ? J’ai jamais vraiment compris pourquoi, mais je le fais : c’est ça l’Aventure Créative. Stephen Shore photographie le banal, moi je le rend un peu gerbos.

Le gamin ci-dessus était indécis quant au choix de son granita, heureusement qu’il ne voyait pas en LomoChrome Purple, il y serait encore. Mais le granita m’interroge : que rendrait de la photographie culinaire avec cette pelloche ?

Non que je sois flemmard, mais je n’ai absolument pas le courage de monter une séance de photo culinaire dédiée au test, j’ai donc entrepris une photographie de photographie culinaire.

Un « Big Mac »

En admettant que le photographe ait respecté la colorimétrie du Big Mac, et que l’imprimeur ait une chaîne graphique digne de ce nom avec des profils ICC et des tests récurrents de calibrage, comme tous ces mecs abrutis par le sujet conseillent dans les groupes Facebook, bah le sandwich donne vraiment pas faim. Non que le Big Mac soit bon, mais il peut au moins être appétissant.

En traversant la rue menant au laboratoire Photolix, qui allait avoir l’immense honneur de développer mes résultats photographiques stupéfiants, j’ai essayé de prendre le petit bonhomme rouge du passage piéton, puis le vert.


Vous remarquez que l’humain est bien fait et ne voit pas en LomoChrome, sans quoi il y aurait un paquet de morts de faim, de froid ou de vieillesse sur les trottoirs : le petit bonhomme vert n’est plus vert.

Il me reste cinq photos et cent mètres, j’appréhende une chute de météorite d’ici un quart d’heures, il faut absolument que je finisse cette LomoChrome Purple. C’est la dernière ligne droite de l’Aventure Photographique. Je suis Indiana Jones dans le dernier quart d’heure du dernie épisode. Bon, j’suis pas sûr de la référence, j’aime pas Indiana Jones donc peut être que le dernier quart d’heure a autant d’action que le final de Une femme est une femme.
Toujours est-il que le travestissement colorimétrique des petits-bonshommes des passages piétons me questionne. Et qu’en est-il pour le reste du monde ? Lomo Purple… Purple… Eurêka !

Deep gris.

Je trouve une photo de Deep Purple, que je LomoChrome Purple-ise : et voici Deep-Noir et blanc. Quoi d’autre ?

Blue Rain

Purple Rain ! Prince ne serait pas très content de voir son « Purple Rain » devenir « Blue Rain ». Et cette fumée qui devient rougeâtre, heureusement que la LomoChrome n’existait pas quand ils ont pris la photo, il aurait dû changer le titre.

Et les autres couleurs ? Que donne le « Yellow Submarine » des Beatles ?

Pink Submarine

C’est catastrophique, totalement inchantable. « We all live in a pink submarine, pink submarine, pink submarine… » Essayez ! Ça sonne pas du tout.

J’arrive à la dernière photo, et je ne sais pas par quel miracle j’ai « Tintin et les oranges bleus » qui me vient à l’esprit. Cet album-film est l’une des œuvres qui a le plus mal vieilli, toutes époques et tous arts confondus.

Tintin et les oranges bleues

Stupeur, les oranges bleues restent bleues. Ai-je trouvé la faille ? Non, ça serait un peu prétentieux, je vous mets ici le lien vers l’image originale qui est un peu différente.

Fini, l’aventure est terminée, et a donné ces résultats photographiques stupéfiants.

Back to basics

La pellicule a tenu haut la main ses promesses : ce fût effectivement une aventure photographique, avec des résultats stupéfiants. Mais la créativité ? Mes photos ont-elles été meilleures parce que surcouchées d’une dominante violette et d’inversions d’autres couleurs ? Non, sûrement pas, cela m’a fermé tellement de portes que j’ai mis quasiment deux mois pour faire 36 poses.

Il existe une multitude de pellicules dans le même registre, de la LomoChrome Turquoise (par pitié, Thomas, si tu lis ce message, ne me l’offre jamais) aux films Dubble film Revelog qui font effet Bubblegum, éclairs arc-en-ciel, pluie verte, effet zebre jaune ou d’autres simili-visions chamaniques sous peyotl.

Je vais rester sage, avec ma bonne vieille Kodak Portra 400 et mon Ilford HP5+, aux noms moins attirants que leur rendu.

Toutes les photos de l’article sont de moi, sauf celles créditées. Vous pouvez m’en commander des tirages numérotés, limités et signés sur Hahnemühle photo rag en 20*30 pour 450 euros l’unité hors frais de port. Les quelques liens affiliés sont pour mon enrichissement personnel, et pour voir si Tintin et les oranges bleues se vend.

11 commentaires

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Bonjour
Merci pour ce moment plein d’humour , découvert grâce à Thomas Hammoudi
Moi qui ne fais que de la photo numérique, sans jamais changer de capteur , je me prive sans doute de grandes joies !

Les photos deep purple je les trouve un peu hard, par contre ton texte c’est du pur Libé années 80, j’ai adoré! Je t’envie de t’être pris une veste chez Thomas, je serais toi je l’encadrerais (la veste, pas Thomas, quoique…)

Je ne te connais pas et suis tombé sur ton site au hasard. Je cherché des infos sur cette péloche (LomoChrome Purple) suite à un article lu dans Réponse Photo de mars 21.
Je suis des fois à la recherche d’une certaine identité personnelle dans mes images. Je ne suis dit, « Tiens et si je ressortais mon F100 du placard pour tester ce film miraculeux ».
Merci de m’avoir devancer. Je suis écroulé de rire en ce matin de St Valentin.
J’adore ton humour. C’est du vécu que j’ai vécu.
Je m’abonne en espérant continuer à me marrer tout en apprenant sur le sujet qui m’est cher.
Salut

Je ne sais que dire…

Maître, apprenez moi
Ou comme le disaient si bien Wayne et Garth : je mérite pas je suis à chier…

J’ai rarement autant ri sur un article de blog, sincèrement bravo pour l’humour et la plume !!!

Je suis réellement jaloux de ne pas avoir trouvé l’idée pour deep purple et Prince…

J’arrive ici via Thomas Hammoudi, je retrouve ce que j’aime dans ses écrits.

Ah ben merci c’est encourageant ! Oui je connais bien Thomas, si il faisait des photos dans les montagnes on ne se seraient sans doute jamais croisé, fort heureusement il préfère les livres aux poses longues.

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