La photographie populaire à l’heure d’internet : art, us, coutumes.

L’article d’aujourd’hui me trottait depuis longtemps, et j’ai récemment lu plusieurs publications qui m’ont aidé à trouver les mots que j’espère justes qui vont suivre. Ainsi je vous conseille d’avoir préalablement regardé la vidéo de Laurent Breillat intitulée « Tous les goûts ne se valent pas » , lu l’article de Thomas Hammoudi intitulé « Bougez-vous le cul et arrêtez de vous plaindre » et enfin celui de Phototrend traitant de l’influence d’Instagram sur les photographes professionnels.

Il n’est nullement question de paraphraser leurs propos, sans quoi un simple copier-coller serait plus rapide et malhonnête, mais de faire un état des lieux des tendances actuelles des photographies diffusées sur internet. Aucun jugement technique ou esthétique ici, ce n’est pas mon rôle et je n’ai pas la prétention de critiquer le travail d’un groupe de photographes à la va-vite, et chacun est libre de poster ce qu’il lui plaît.

Voici l’origine du problème : vous savez peut-être que je n’aime pas particulièrement le réseau social 500px à cause de la répétitivité qu’il crée par le biais de son système d’affichage et de classement des images, j’ai donc voulu en avoir le cœur net et voir si cela n’était qu’une impression amenée par les photos « populaires » ou si le phénomène était réel à plus grande échelle. Pour cela j’ai regardé plus de 2000 comptes, vu des dizaines de milliers de photographies et plusieurs fois fermé la fenêtre pour éviter une épouvantable overdose de couchers de soleil.

Je pars du principe que la plupart des photographes présents sur ce site s’investissent un minimum afin de publier des choses de qualité, puisque le but est d’avoir des likes et des followers, pour ensuite… Pour ensuite, je ne sais pas trop quoi en faire, mais c’est comme ça et pas autrement. La différence avec Instagram étant ici la sous représentation des photos quotidiennes, des selfies, de milk-shakes Oréo-Fraise et des dernières fringues achetées 10mn avant. Gage de qualité ?

500px étant donc un site où l’on peut voir le travail de milliers de photographes investis dans leur passion, il devrait être possible de découvrir de l’original frais et neuf.

Je vais différencier le fond et la forme, vous remarquerez néanmoins que certaines esthétiques s’appliquent à tous les sujets.

Au raz des pâquerette

Par simplicité et afin de ne pas biaiser ma petite enquête, j’ai choisi une méthode assez simple : je prends n’importe quelle photo populaire, et j’ouvre les galeries d’un paquet de personnes qui l’ont aimée, du dernier arrivé au mastodonte du site, et je regarde les sujets qui s’en dégagent.

Je ne vous apprends rien en vous citant comme thématiques majeures le paysage au coucher de soleil et le portrait sensuel au coucher du soleil d’une femme qui fout on-ne-sait-quoi dans des champs, ou les variantes au lever de ce même soleil. Notez qu’il serait intéressant de voir les contributions des photographes lapons durant l’hiver.

Mais accrochez-vous, il y a un sujet qui semble inépuisable et d’une redondance extrême : les fleurs.

Ouvrez un profil, vous verrez des fleurs. Encore je comprends les galeries qui en sont pleines, un fleuriste ou un horticulteur peut bien prendre en photo sa production avec soin, mais qu’est-ce que c’est que cette idée absurde que de mélanger photo de rue en noir et blanc et fleurs en macro ? Portraits intimes et pistils ? Paysages et pétales soyeux sur fond noir ?

  • Flowers
  • Flowers

Qu’en conclure ? Les photographes auraient-ils un penchant inexplicable pour les fleurs ? Les fleuristes pour la photographie ? Je ne pense pas.Ne faudrait-t-il pas plutôt y voir l’objet le plus optimal à placer sur un réseau social qui pousse à la publication et à la course aux pouces levés ? Une fleur c’est joli, c’est coloré, ça ne bouge pas beaucoup et ça n’essaye pas de mettre des torgnoles quand c’est pas content d’être photographié. Et puis si on est malin en moins de dix minutes chez Interflora on peut sortir de quoi faire 3 expositions.

La toute puissance d’Imogen Cunnhingham

Vous me pensiez moqueur ? Jamais ! Je n’oserais suspecter quiconque d’une course à la simplicité et toutes ces photographies botaniques m’ont appris que l’influenceuse en chef de 500px n’est autre qu’Imogen Cunningham. Son étude sur les magnolias de 1925 est théoriquement l’œuvre la plus entraînante qui soit, elle a défini la chose mieux que quiconque, et ses millions d’adeptes tentent de saisir l’essence de ses pistils en reproduisant bon gré mal gré et en couleur ce schéma à l’infini.

Imogen Cunningham, divinité légendaire de 500px malgré elle.

Pépins

Et la photo de rue, souffre-t-elle de répétitions ? C’est assez facile de pronostiquer que oui, les sujets dans la rue n’étant pas infinis, il y en a. Mais y’en a-t-il plus que d’autres ?

Je n’ai pas réussi à trouver sur combien de personnes il pleut en moyenne à un moment donné sur terre, mais figurez-vous que si l’on se fie à la photo de rue, il pleut très souvent à peu près partout. Et vu que la météo est moche, tout le monde trimbale un parapluie.

People walking under the rain

Vous me direz peut-être à raison que j’exagère, qu’il n’y a pas mille façons de prendre un type avec un parapluie à travers un vitre pleine de gouttes, et c’est vrai. Mais la mise en scène, le cadrage, et même parfois l’usage des couleurs de Saul Leiter exerce ici une influence prépondérante dans la photo de rue, bien plus que tout autre photographe de renom. N’y voyez pas une critique par cette simple transition sur les courants esthétiques du réseau social – je ne dis pas non plus que prendre un type avec un parapluie à travers une vitre est forcément nécessaire et original.

Esthétiques courantes et OVNIS

Je vais faire l’impasse sur la désaturation partielle, vous en connaissez le principe et le rendu, sachez juste que ça existe encore, et que ça s’applique dans absolument tous les registres, même dans la photo culinaire, et croyez moi sur parole ça ne sert à rien de vérifier par vous-même.

Le HDR est toujours en grande forme, ce n’est pas non plus une surprise, et les curseurs vont toujours plus loin. J’en ai vu des tas et des tas, pardonnez moi d’en être totalement insensible et de vous soumettre un échantillon représentatif de ce qui se fait de plus cru.

HDR from outer space

Rien de neuf sous le coucher de soleil, j’ai donc voulu voir si quelques photographes sortaient du lot sur le plan esthétique. Le souci ici est que c’est une prise de risque assez énorme que d’adapter le HDR à la photo de rue, ou encore de post-traiter directement avec les cojones, et je peux vous assurer qu’en regardant des centaines de profils, on repère très vite celui qui diffère, et il y en a peu.

Je vais uniquement vous montrer des choses qui, même si elles ont un traitement très osé ou kitsch, m’ont donné envie de regarder la suite. Je ne m’arrête pas qu’au visuel, j’ai laissé de côté des choses sans aucun intérêt juste massacrées au +100/-100, les quatre photographes que je vous présente ont tous des séries qui prouvent une certaine recherche artistique.

Le premier, Mike Back, allie photo de rue en noir et blanc et HDR pour certaines. Il réussit à donner un côté photo de mode aux passants qu’il immortalise, par l’usage du grand angle et de la contre-plongée. Je ne comprends pas pourquoi il traite aussi fort la majorité de ses photos, si une réponse me parvient elle sera bien sûr ajoutée ici.

Le second, Sebastian G. capture pas mal de détails de la vie courante, et joue beaucoup sur l’expressivité des mains de ses sujets, il utilise lui aussi le HDR et m’a répondu :

I want to show pictures you do not notice. I want to make you an Ahha moment. That is, if you walk on a street you only take the path true I want you to look this way but more closely sees what I see and then you take the way true otherwise.

Il s’excuse pour la traduction, l’anglais n’étant pas sa langue maternelle. Donc son but lors du traitement est de mettre en valeur un détail, de la magnifier afin de le faire percevoir mieux au spectateur.

Pedro Pinho lui donne un effet particulier à ses portraits de rue, j’ai d’abord cru que son objectif était hyper sensible au flare, mais c’est un ajout choisi par le photographe.

I focus on the individual on the streets, that´s my personal interest when I´m doing street. The light effect just gives me a way to emphasize the individual. It´s my “style” and it can be liked or not!

Ses rayons lumineux sont donc là pour souligner son propos. Y en a-t-il besoin alors qu’il utilise une focale assez longue qui isole déjà ses sujets ? C’est un choix esthétique qu’il assume, et il sait que ça peut ne pas plaire à tout le monde. Et puisqu’on y est et que ça fait souvent débat, oui, je suis pour l’utilisation de longues focales en photo de rue.Enfin, Line Martel m’a tapé dans l’œil par ses portraits tellement travaillés qu’ils ressemblent à des tableaux, et ça m’a presque posé problème : est-ce beaucoup trop ? J’ai décidé de la citer puisque vu la maîtrise technique, elle doit savoir exactement ce qu’elle fait, et finalement le rendu de ses portraits de personnes au volant de leurs voitures américaines rappellent l’œuvre du peintre hyperréaliste Richard Estes pour qui les chromes et les vitres sont presque érigés en symboles.

Fond, forme et modes, qu’en conclure ?

Croyez moi, je n’aurais pas pensé écrire cela, mais lessivé à 500px je dois bien avouer que j’ai préféré ces photos de rues HDR à la grosse majorité de ce que j’ai pu voir ailleurs. Leur objectif est atteint, puisqu’ils m’ont d’abord attiré l’œil par la forme avant que je ne m’intéresse au fond. Alors je ne vais pas devenir pour autant un fervent défenseur du HDR, non, mais juste m’enfoncer dans le crâne que le propos prime sur la forme.

Entre celui qui mime du Saul Leiter déjà rincé et essoré mille fois par conviction que son parapluie à travers une vitre sera aussi intéressant que celui du maître, et celui qui a une démarche plus personnelle, mon choix est fait. Et encore je ne parle pas des hordes de disciples d’Imogen Cunningham, il y a un fossé et pourtant qu’ils sont nombreux, les botanistes photographes !

Note : les photos de fleurs en haut de l’article ne sont pas créditées, je n’arriverais sans doute jamais à retrouver leurs auteurs, et je ne suis pas sûr qu’ils reconnaissent leurs fleurs. C’en est de même pour les photos « à la Saul Leiter », sauf l’originale qui est  ©Saul Leiter. Les quatre derniers photographes ont leurs profils en lien, n’hésitez pas à aller les voir. Merci aux deux photographes qui ont pris le temps de répondre à mes questions et à Thomas Hammoudi pour le titre.

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